Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Publications scientifiques et critiques : quand les avocats s’en mêlent

La diffusion des connaissances scientifiques doit-elle rester l’apanage des revues scientifiques, de leurs auteurs et de leurs évaluateurs, ou bien des avocats peuvent-ils y mettre leur nez ? Un événement récent laisse penser, une nouvelle fois, que la réponse n’est plus si évidente. Comme l’a révélé le média en ligne Retraction Watch cet été, Raphaël Lévy, professeur à l’université Sorbonne-Paris-Nord, a ainsi reçu, en mai, une lettre d’un avocat américain représentant un prestigieux chimiste, Chad Mirkin, professeur à l’université Northwestern de Chicago et récent Prix Kavli. Le courrier enjoignait au Français de « cesser de diffuser de fausses allégations » et de « retirer les fausses informations envoyées aux Comptes-rendus de l’Académie américaine des sciences [PNAS] ». Ce dernier point fait allusion à une pratique courante dans le monde scientifique. Lorsqu’un article est publié, en l’occurrence un article réalisant un état des lieux dans un domaine (un « article de revue » ou « revue », dans le jargon), d’autres scientifiques peuvent envoyer leurs critiques au journal. Après évaluation par des pairs, celles-ci peuvent ensuite être publiées.
Ce processus s’est ici enrayé. « J’étais critique d’un article de PNAS paru en février car il présentait comme prometteuse une technologie sans parler de ses échecs », indique Raphaël Lévy. La technologie en question concerne des nanoparticules « décorées » d’ADN ou d’ARN, censées servir en imagerie ou en thérapie anticancer et dont Chad Mirkin est l’un des inventeurs et promoteurs. La lettre critique envoyée à PNAS rappelait que la commercialisation des applications en imagerie avait cessé depuis plusieurs années, et qu’en termes thérapeutiques, notamment contre des carcinomes, une des entreprises, Exicure, avait arrêté un essai clinique de phase 2 (cité comme prometteur dans l’article de PNAS, dont Chad Mirkin n’est que l’un des onze auteurs). Le courrier mentionnait en outre plusieurs articles de recherche, dont certains cosignés par Raphaël Lévy, doutant de l’efficacité de la technique pour pénétrer dans le cytoplasme des cellules (et faire ainsi leur office). Aucune de ces références ne figure dans la « revue » de février.
« J’ai été sidéré de recevoir d’abord un e-mail de Chad Mirkin, puis de son avocat », se souvient Raphaël Lévy. Le contenu du courrier est assez intimidant. Outre la mise en demeure, il contient des attaques envers l’intégrité du chercheur français, évoquant un article soumis et « rejeté » par un journal, des accusations d’inconduites scientifiques dans son ancienne université (Liverpool), ainsi que des « déclarations désobligeantes » sur le travail de ses collègues à Paris-Nord. Selon Raphaël Lévy, « l’université de Liverpool n’a pas donné suite aux accusations ». Quant à Paris-Nord, « l’enquête est terminée et a conclu qu’il n’y avait pas de harcèlement caractérisé », nous a indiqué une porte-parole de l’université.
Il vous reste 43.85% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish